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Michel

Et le COVID-19 au Salvador ?

#Analyse | Tandis qu’en Suisse certaines voix s’élèvent pour critiquer le manque de force et de vigueur des mesures prises par les autorités face au COVID-19, le Salvador a pris un autre tournant.

Alors qu’aucun cas n’avait encore été recensé dans le pays, le président de la République du Salvador a ordonné le 11 mars dernier de fermer toutes les frontières du pays [1]. Toutes les personnes entrant dans le pays par voie terrestre par un point d’accès terrestre officiel (il y a d’autres moyens d’entrer) ou par l’aéroport devaient être mis en quarantaine pour une durée de 30 jours.


« Nous sommes le pays avec la quarantaine la plus longue du monde » s’exclamait le président de la République du Salvador le 11 mars dernier.

Mais où est-ce que le président va mettre ces milliers de personnes en quarantaine ?


La réponse du gouvernement fut d’installer des lits dans les infrastructures d’une usine électrique se trouvant dans la partie la plus chaude du pays (Jiquilisco, Usulután) et d’y mettre en quarantaine toutes les personnes entrant dans le pays [2].



Comme vous avez pu voir, des rumeurs parcourant surtout les réseaux sociaux affirmeraient qu’une température supérieure à 27°C tue le virus, ce qui n’a été validé par aucune recherche scientifique !


Les personnes mises en quarantaine sont des femmes (950), femmes enceintes (7), enfants (136), vieillards (249) et hommes (1442) dont une partie était sur le chemin de retour au pays après la signature de l’accord de renvoi forcé des migrants entre le Mexique, le Guatemala et les Etats-Unis [3],[4]. Le 29 mars, le Chiffre était à 3'984 personnes.



A la centrale électrique, l’eau potable et la nourriture sont venues à manquer très rapidement. Les conditions sanitaires se sont détériorées en peu de temps et après quelques fuites médiatiques sur ces conditions, le centre a été fermé 6 jours plus tard.


Le 20 mars dernier, les personnes en quarantaine ont été redistribuées dans 48 centres différents du pays [5]. A l’heure actuelle, certaines communautés sont très préoccupées pour leurs membres emmenés par la police, car elles n’ont aucune nouvelle de leur part, ni quant à leur localisation géographique ni quant à leur état de santé.




Le président a dû alors se confronter à l’assemblée législative qui a mis en cause l’inconstitutionnalité des mesures ordonnées par twitter, telles que la fermeture des frontières et la déportation des gens dans les centres de quarantaines. A la suite de la déclaration de situation de pandémie par l’OMS le 12 mars, l’Assemblée Législative a finalement accepté l’État d’Urgence le 14 mars dernier et l’État d’Exception un jour plus tard. L’État d’Exception (article 29 de la constitution) s’établit en cas de guerre, d’invasion du territoire, de rébellion, de sédition, de catastrophe, d’épidémie ou d’autres calamités généralisées, ou de perturbation de l’ordre publique. Néanmoins jusqu’au au 15 mars, aucun cas de coronavirus n’avait été recensé dans le pays (premier cas 19 mars) [6].

Qu’est-ce qui peut être implémenté durant l’État d’Exception au Salvador ?

- Interdiction d’entrer et de sortir du pays

- Suspendre la liberté d’expression

- Suspendre la liberté de réunion

- Suspendre l’envoi et la réception de correspondances

- Suspension du droit à une défense au tribunal

- Détention administrative


Pour le moment, l’Assemblée Législative n’a pas suspendu le droit d’expression et les journalistes ont le droit de parcourir le pays [7].


Le 21 mars, après la confirmation du troisième cas d’infection dans le pays, le président a déclaré la quarantaine au niveau national pour une durée de 30 jours (mise à part pour le personnel de santé, l’armée, la police, les producteurs de denrées alimentaires et certains services administratifs et bancaires) [8]. Deux sorties par semaine sont autorisées pour une personne par ménage afin d’acheter de la nourriture ou des médicaments. Toute personne sans justificatif de sortie (professionnelle ou d’approvisionnement) ou ne respectant pas la sortie individuelle, est incarcérée ; le 28 mars, le nombre d’incarcérations s’élève à 712 cas reportés (selon source gouvernementale) [9].


Vidéo amateur prise le 24 mars dernier dans le département de la Libertad (source vérifiée par FNS), "No debe andar en la calle" répètent les prisonniers sous les ordres de la police durant leur sortie journalière.

Chaque citoyen doit être munit d'un justificatif officiel afin de pouvoir circuler de chez lui à son travail ou au supermarché. Le formulaire est disponible sur internet et chaque foyer doit en remplir un avec la personne désignée pour faire p. ex. les courses.


Le 21 mars dernier, les forces militaires et la police, escortées par des colonnes de blindés ont été déployées dans le pays afin de faire respecter l’État d’Exception [10].


Du fait qu’environ 75% de la population n’ont pas de source de travail formelle, le président a promis certaines compensations dont :


  • Dédommagement de 300$ par famille consommant moins de 200kW d’électricité par mois et sans emploi formel.

  • Suspension des facturations d’internet, des loyers, de l’eau et de l’électricité.


Les situations reportées par les communautés sont préoccupantes et notre nouveau bureau à domicile s’est transformé en centrale d’alarme de l’une de nos colocataires travaillant dans le domaine du droit à la santé. En effet, le Salvador compte 630'000 personnes en insécurité alimentaire [11]. Dans les faits, la police a fermé les accès routiers donc les bus ne passent plus et les communautés se retrouvent isolées. La police ne laisse pas sortir les gens de chez eux pour chercher de la nourriture et les petits magasins ne sont plus approvisionnés. Ces témoignages ont été vérifiés et reportés par le Forum National de Santé [12] qui est, pour le moment, une des seules organisations à publier ce genre d’information. Un système de surveillance du droit à l’eau et à la nourriture des communautés avec lesquelles nous travaillons est mis en place par la UNES dès aujourd’hui. Depuis cette semaine (20 mars), un formulaire en ligne de la Procuraduria para la Defensa de los Derechos Humanos est disponible pour dénoncer les violations aux droits humains [13].


Certaines communautés sont terrorisées et certains traumatismes de la dernière guerre civile réapparaissent, notamment la peur de se faire arrêter, séquestrer puis déporter.


Pourquoi y a-t-il des inquiétudes pour la démocratie au Salvador ?


Depuis l’élection du nouveau président de la République du Salvador, nous assistons à une remilitarisation accélérée du pays avec une augmentation des investissements de l’État de 474 millions, campagne de recrutement de soldats, achat de matériel militaire [14]. Quelque temps avant le début de la crise du Covid-19, le 9 février, le président a tenté de prendre en otage, avec l’appui de l’armée, l’Assemblée Législative, pour obliger les députés à voter un prolongement de 109 millions pour son plan de récupération du territoire [15].



L’opération avec les militaires avait été planifiée secrètement et pour la petite histoire, le président s’est retrouvé bloqué à l’extérieur du bâtiment durant 1h30 avec l’armée, car la personne qui avait les clefs n’avait pas été avisée et se trouvait toujours à Suchitoto à 60 km de San Salvador. A son entrée dans l’Assemblée, le président de la république a pris la place très symbolique du président de l’Assemblée Législative. Très peu de députés étaient présents, bien que le président ait ordonné aux députés de participer à cette session extraordinaire [16] et leur ait fait pression en retirant leurs agents de protection personnelle [17]. Le président a alors fait une prière puis a mentionné que dieu lui avait dit d’être patient et que cela n’était pas encore le moment [18].


En cette année d’élection, les attaques verbales et intimidations directes contre l’Assemblée Législative [19] ainsi que le non-respect par le nouveau gouvernement de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaires sont préoccupantes [20],[21].


La situation de la pandémie actuelle et l’État d’Exception a permis d’octroyer davantage de pouvoir aux forces armées et policières.


Les volontaires et le coronavirus ?

En ce moment nous sommes, comme environ 6 millions de salvadoriens, enfermés en quarantaine à la maison.


En pleine saison sèche, nous attendons désespérément les premières pluies depuis notre piscine privée


Mon organisation nous avait déjà renvoyé ce vendredi 20 mars chez nous après une dernière petite réunion de crise. Dans notre réunion, nous avons regardé qui avait internet à la maison, qui avait un ordinateur et nous avons rendu chacun un plan personnel du travail à exécuter et des points de contrôles pour les chef-fe-s.

Cette crise met encore davantage de pression économique sur les ONGs qui vivent de leurs activités sur le territoire. Pas d’activités pas de ressources, pas de ressources pas de salaires.

Après consultation sur de potentielles mesures de crises pour les ressortissants suisses à l’étranger, le consulat suisse au Salvador nous a renvoyé à l’ambassade de San José au Costa Rica, qui nous a renvoyé à nous-mêmes : nous devons gérer la situation par nos propres moyens. J’ai compris aujourd’hui d’où venait l’expression « hacer el Suizo » en regardant la réponse du Conseil Fédéral à ses expatriés en comparaison à celles de l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne qui préparent de potentielles missions de sauvetage pour leurs ressortissants. La coordination d’EIRENE Suisse nous a gentiment offert la possibilité de nous rapatrier en Suisse en cas de besoin le 16 mars dernier.


Pour le moment tous les vols (à part pour le rapatriement spécial des touristes) sont suspendus et les frontières sont fermées. Étant encore plus ou moins jeunes, nous pensons que nous devrions survivre à une éventuelle contamination et nous n’avons pas senti, pour le moment, le besoin de rentrer.


Il est vrai que lors de mes deux petites sorties de cette semaine, j’ai été impressionné par le dispositif militaire mis en place. J’ai eu l’occasion de zigzaguer à bicyclette entre 4 patrouilles militaires de ma maison au supermarché (< 1km). L’entrée du supermarché est gardée par 2 militaires des forces spéciales (treillis gris et blancs) et un policier, tous masqués et équipés des fusils d’assaut (sans exagération) afin de contrôler le nombre de personnes entrantes et le respect des 2 mètres de distance dans la file d’attente. Les gens nous regardent un peu comme des extraterrestres car nous sommes des rares personnes qui ne se promènent pas avec un masque et des gants chirurgicaux.


Allez, à bientôt et prenez soins de vous et de vos proches !


Michel


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