Le début de cette année au Salvador m’a fait me confronter à une difficulté majeure et omniprésente dans ce pays qui rend le travail des scientifiques plus compliqué : les intérêts politiques.
En effet, si votre travail de recherche touche à des aspects liés à la fois à un problème aigu de santé publique (maladies chroniques rénales) et à deux poids lourds économiques et politiques du pays (distributeurs de pesticides, industrie sucrière), il vous est alors nécessaire d’apprendre à marcher adroitement sur des coquilles d’œufs. En voici un des nombreux exemples.
En janvier, avant la crise pandémique et la «nueva realidad» (au bon vieux temps), j’étais à la recherche d’un laboratoire indépendant capable d’analyser une liste de 32 pesticides. A cette fin, je suis allé consulter un laboratoire aux Etats-Unis, un laboratoire au Nicaragua et trois laboratoires au Salvador. Vu qu’il n’a pas été possible de déployer des échantillonneurs passifs pour des questions de coûts et de la diversité des caractéristiques des substances à analyser, je me suis résolu à échantillonner 8 litres d’eau par point de mesure. Les options d’envoi des échantillons à l’étranger se retrouvèrent alors compliqué à la fois par le blocage du processus d’autorisation délivré par le ministère de l’environnement, pour le coût d’analyse et pour des raisons pratiques (difficile d’envoyer 30 litres d’eau en moins de 24h à une température <8°C à l’étranger).
Que fait-on à ce moment-là ?
On saute dans la piscine olympique des intérêts politiques, des réseaux de confiances vs méfiances des laboratoires du pays. Alors c’est simple, il y a un laboratoire qui est sous la direction du Ministère de la Santé (parti politique du nouveau gouvernement) avec lequel mon organisation était en «froid » suite à la distribution d’eau contaminée par des algues à 1.2 millions de personne en février. Il y a un laboratoire privé d’une fondation financée par les entreprises fortunées du pays (parti politique de la droite) avec qui mon organisation ne partage pas certains de leurs ambitions (gestion privée des eaux, projets urbanistiques). Le troisième laboratoire est celui vérifiant la qualité des pesticides importés (direction neutre politiquement).
Avec un budget de 1800$ pour les analyses et aucune alliance en vue, la tâche est compliquée. J’ai fait alors fonctionner la vitamine "R" pour relation (en plus de la vitamine "A" pour accroches-toi et la"D" pour débrouilles-toi).
La première piste est passé par le réseau des personnes qui connaissent très bien la thématique et défendent la santé des salvadoriens à ce sujet. La seconde piste est passée par un réseau d’amitié du collège. La première option n’a pas été possible à réaliser car ces très bons scientifiques sont «muselés» et certains « mis sous pression» (manière poli de dire menacé) pour ne plus traité du sujet. La seconde option a, d’apparence du moins, fonctionné.
Il nous reste plus qu’à espérer que les limites de détections soient suffisamment basses, qu’il n’y ait pas de manipulations des résultats et qu’on prenne la mesure au bon moment. Au pire, on se rattrapera sur les analyses de sédiment et de biote qui sont des matrices environnementales un peu plus intégratives.
Au moins, si un jour un tel projet se passerai avec des moyens un peu plus significatif, le chemin sera déjà tracé.
Voici un peu de photos de notre échantillonnage comprenant une mesure amont et aval des champs de canne à sucre de la rivière El Aguacate (paraquat, glyphosate, organophosphorés) et la mesure des 3 puits d’eau potable (triazines).
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